CPE Confiner Pour Exister
Mesures de confinement
17/03/2020
Comme la grande majorité d'entre vous, je me retrouve à la maison pour permettre aux soignants de venir en aide aux plus fragiles et tenter de faire en sorte que les cas graves dus au Covid19 n'affluent pas dans les hôpitaux. Il n'a jamais été aussi simple de sauver des vies. C'est évidemment inédit comme situation, on n'est rarement contraint de rester chez soi mais je pense qu'il est important de voir le côté positif de la situation. C'est le moment de faire les choses que nous ne pouvons pas faire habituellement: lire, écrire, tricoter, peindre, dessiner, passer du temps avec nos enfants, avoir de longues discussions au téléphone avec les membres de notre famille, câliner nos chats... la liste est bien sûre non exhaustive et il appartient à tous de la compléter en fonction de ses envies et désirs.
Ce
qui est important de garder à l'esprit c'est que ce n'est pas une
situation qui va durer. Dans quelques semaines nous pourrons à nouveau
recouvrer nos habitudes et notre liberté d'aller là où ne le souhaitons.
Il faut juste s'armer de patience en acceptant de mettre sa petite
personne de côté. Il faut nous dire que nous avons de la chance de
pouvoir rester chez nous alors que d'autres n'ont pas d'autres choix que
d'aller travailler en espérant rester en bonne santé.
Profitez
de votre temps libre pour lire, c'est le meilleur moyen de s'évader et
de sortir de votre maison. Je vous souhaite à tous de rendre ce
confinement le plus agréable possible et surtout d'être en bonne santé.
Je tiens aussi dire un grand merci à tous les personnels de santé qui luttent contre le Covid19. Bon courage à vous tous.
6/03/2020
Comme je vous le disais plus tôt dans la journée, je vous conseille de lire pour vous évader. Pour vous y aider Léa Guterbour reprend exceptionnellement du service entre deux tomes pour venir vous divertir. Elle aussi confinée avec son colocataire Thomas, elle vous propose de suivre leur quotidien à la maison. Découvrez régulièrement les péripéties que va lui faire vivre cette situation inédite sur la nouvelle page CPE Confiner Pour Exister. En espérant que cela vous amuse un peu et vous donne encore plus le sourire.
Belle lecture.
Jour 1
Lundi 16 mars 2020
Thomas et moi sommes tous les deux bien installés sur le canapé vert du salon devant la télévision. La grande horloge de son grand-père sonne le dernier coup qui annonce 20h et nous assistons au début de l'allocution du Président de la République. Grignotant un bâtonnet de carotte, mon voisin l'air grave écoute avec attention le discours. Ses sourcils froncés lui donnent le charme fou qui fait chavirer le cœur de bon nombre de jeunes femmes. Moi, je suis concentrée sur les sous-titres et je m'émerveille de la rapidité à laquelle la personne arrive à taper tous ces mots les uns après les autres. Il me faut un temps fou pour rédiger rien qu'un mail. Au fur et à mesure que je lis et que je déchiffre, les phrases commencent à prendre leur sens. Même si le terme n'est pas prononcé, je comprends vite de quoi il est question. Mon coloc' qui a saisi la même chose que moi se frotte le visage.
- On dirait bien que nous sommes coincés tous les deux ma pauvre Léa.
- J'en ai bien l'impression, dis-je d'un air triste.
- Cache ta joie. Ça ne te fait pas plaisir de passer quinze jours avec moi ?
Je me rapproche de lui et passe mes deux bras autour de son cou. Posant un bisou dans le creux de sa joue même si je sais que ce n'est pas très recommandé en ce moment - nous vivons dans la même maison donc je m'y autorise et puis j'ai vraiment un mal fou à me passer de cet endroit de son anatomie -, je le rassure :
-Tu es bête. J'ai juste la trouille de rester aussi longtemps coincée à la maison. Il y a un milliard de choses dans ma tête, une centaine de question auxquelles j'ai du mal à répondre, il va falloir qu'on s'organise et...
-Minute papillon planificateur. C'est surtout une bonne occasion pour apprendre à lâcher prise. Toi qui veux toujours tout contrôler, vois ça comme un très bon exercice pour laisser place à l'imprévu. Pense à tout ce que tu n'as jamais le temps de faire.
-Faire les carreaux ? ironisé-je.
-Il va falloir être un peu plus créative, je pense.
Nous regardons l'émission qui décrypte le discours présidentiel jusqu'à l'intervention du ministre de l'intérieur qui détaille toutes les restrictions auxquelles nous allons devoir nous plier.
C'est quand même très déstabilisant. Tout notre mode de vie va devoir être à réinventer. Cela dit, les choses avaient commencé à se préciser dès jeudi soir avec l'annonce des fermetures des établissements scolaires. Vendredi nous nous sommes réunis au collège avec monsieur Brochard, le principal, et l'ensemble des enseignants pour nous organiser pour la semaine à venir afin d'assurer la continuité pédagogique des élèves. L'équipe s'est montrée très volontaire et soudée pour organiser des permanences afin de répondre aux questions disciplinaires des élèves ainsi que de leurs parents. En ce qui me concerne, sans ados dans le collège, j'ai pris conscience de mon chômage technique et la nécessité de me montrer au maximum disponible pour venir en aide à quiconque aurait besoin de moi.
L'annonce de la fermeture des restaurants et des bars à minuit le samedi soir est venue nous replonger dans les interrogations. Le dimanche, monsieur Brochard m'a contactée pour me faire part de ses intentions de demander à tous les personnels de rester chez eux dès le lendemain. Pourquoi faire venir des gens qui peuvent travailler à distance de chez eux et les faire se rencontrer alors qu'il nous est demandé à tous d'éviter les déplacements et les rencontres ? Entièrement d'accord avec ça. Je me suis tout de même déplacée ce matin pour convenir avec lui de l'organisation à venir puis on m'a vite demandé de regagner la maison afin de respecter les demandes ministérielles.
N'ayant plus grand chose dans les placards, je me suis dit qu'il ne serait pas inutile de faire quelques courses avant de rentrer. Thomas s'organisant et bataillant avec Internet pour mettre ses cours en ligne, il m'a semblé bien naturel de me charger de la corvée. Arrivée au magasin, j'ai vite regretté de ne pas avoir enfilée ma tenue de combat car même si j'en avais entendu parler comme tout le monde, je n'avais pas bien pris la mesure des choses. Les gens avaient fait leurs provisions créant une pénurie dans certains rayons qui n'avaient pas encore été approvisionnés. Le contraste entre les rues désertes pour un lundi midi et la foule dans la grande surface m'a interpellée. Je peux vous assurer que respecter les consignes et se tenir à bonne distance des uns et des autres est bien difficile quand les personnes jouent des coudes pour avoir la dernière pâte feuilletée dans l'armoire réfrigérée. J'ai même eu peur de laisser mon chariot seul devant les têtes de gondoles redoutant qu'on me dévalise. Drôle d'ambiance. J'ai rempli mon caddy comme j'ai pu en m'armant d'une patience plutôt inhabituelle chez moi - comme quoi tout arrive - avant d'atteindre la caisse pour régler mes achats. Après m'être faite rappeler à l'ordre par l'hôtesse de caisse pour ne pas avoir vu la ligne marquée au sol indiquant l'espace d'éloignement à honorer, j'ai chargé le coffre de ma twingo - sans les sacs laissés chez Tom n'ayant pas imaginé faire mes courses en ce début de semaine - et j'ai regagné la maison.
Mon coloc très heureux de quitter son bureau m'a aidée à ranger les placards.
12h30 et ma journée était terminée. Les enfants chez leur papa cette semaine dans le cadre de notre garde alternée, la grande question était de savoir ce que j'allais faire de mon après-midi. J'ai tourné en rond, regardé des séries télé, passé des coups de téléphone à mes collègues et amis pour savoir si tout allait bien pour eux et nous sommes vite arrivés à ce moment télévisuel annonciateur de ce que nous redoutions tous : le confinement général.
-Ce que je veux dire c'est que vu la longue journée que je viens de passer, j'ai un peu peur de ne pas savoir comment m'occuper, continué-je bien enfoncée dans le canapé, les bras maintenant croisés.
-Je pense que tout le monde redoute l'inactivité. L'important c'est pourquoi nous le faisons. Nous sauvons des vies en restant chez nous. Nous aidons les personnels soignants en évitant l'affluence des malades aux urgences. C'est provisoire. C'est quand même fou : les gens se plaignent de n'avoir le temps de rien. Qu'ils profitent plutôt que de ronchonner !
-C'est vrai mais si je t'écoute je vais passer tout mon temps dans mon canapé devant la télé étant donné que je me plains de ne jamais pouvoir le faire.
- Tu râles aussi parce que tu n'arrives pas à faire du sport ou à profiter des enfants à cause de la garde alternée, reprend mon coloc l'air de rien.
Ces deux dernières remarques me font réfléchir. Sage Thomas. S'il n'existait pas... Mais hors de question de le reconnaître. Vous connaissez ma mauvaise foi légendaire.
-Et toi ? Les sorties au Berlingot ne vont pas te manquer ? Comment tu vas faire pour rencontrer toutes ces jolies filles qui te font tourner la tête ?
Il sourit et m'envoie un coussin à la figure.
Il a du bon ce confinement. Je vais avoir mon coloc rien que pour moi.
Jour 2
Mardi 17 mars 2020
Aujourd'hui premier jour de confinement. Il est dix heures quand je quitte le lit douillet de Thomas. Oui, j'avoue. Ne trouvant pas le sommeil je suis encore partie me réfugier à ses côtés sous sa couette. Les nouvelles de la journée, tournant et s'emmêlant dans mon esprit m'ont contrainte à le rejoindre comme à chaque fois que je ne trouve pas le sommeil.
Je sors donc de sa chambre en pyjama, un short et un vieux t-shirt de mon coloc' dans lequel je nage et dont il ne se rappelle même pas l'existence puis descends vers la cuisine pour boire un café. J'ai un peu honte de voir l'heure qu'il est. Ce ne sont pas les vacances mais j'avais besoin d'un peu plus de sommeil pour me remettre de ma nuit chaotique. Je ne suis pas surprise de retrouver Thomas à la table en train de travailler. Il adore l'atmosphère de la pièce grâce aux couleurs vives que nous avons apportées à la vieille cuisine de ses grands-parents, un jour de délire. Pas une porte de placards n'est de la même teinte : du bleu, du jaune, du rouge, du orange... au début on n'a eu un peu peur de ne jamais s'y habituer, surtout lui, mais maintenant on ne pourrait pas imaginer le lieu autrement.
- Bonjour, me dit-il en levant le nez de son ordinateur. Bien dormi ?
- A partir d'une certaine heure, oui.
- Celle où tu es venue squatter mon lit avec tes pieds froids ? plaisante-t-il.
Je ne réponds pas et me dirige vers l'étagère où est posée la cafetière. Après m'être servie une tasse, je viens m'asseoir en face de lui à la table poussant quelques cahiers pour ne pas commettre de bêtises.
- Tu bosses bien ? Pas trop compliqué de travailler à distance ?
- Ça manque un peu de Victor et de Soline pour pimenter les séances mais ça a le mérite d'avancer plus vite.
A l'évocation du prénom de mes élèves, j'ai un petit pincement au cœur. Ils me manquent déjà ces rigolos. Mon coloc' doit s'en apercevoir puisqu'il me demande :
- Tu vas bien ?
- Oui. Une montée de nostalgie.
- Tu as réfléchi à ta journée.
Et comment que j'y ai réfléchi. C'est en partie pour cela que je n'arrivais pas à dormir.
- Pour commencer je vais mettre un peu d'ordre dans mes dossiers élèves que j'ai pensé à prendre hier et ensuite je vais me consacrer à mon summer body.
Yeux ronds et plein d'étonnement de mon coloc'. Je m'oblige à être plus clair.
- Je vais profiter de mon confinement pour faire du sport et faire reprendre du service à mon vélo elliptique.
Cette fois, c'est un fou rire auquel je dois assister. Entre deux crampes, il arrive à s'exclamer.
- Le vieux machin à la cave ? Ça fait combien de temps qu'il n'a pas servi ? Est-ce qu'au moins il fonctionne encore ?
Je bois une gorgée de mon café encore trop chaud - même si je préfère quand il est juste bien, comme le petit ours de boucle d'Or - pour m'empêcher de l'envoyer balader.
- Oui, figure-toi, espèce de mauvaise langue que j'ai bien l'intention de me consacrer une demi-heure tous les jours à faire du vélo. C'est toi qui me disais que je ronchonnais toujours parce que je n'avais pas le temps de faire de l'exercice. Et bien je t'ai entendu.
- Tu vas déjà beaucoup transpirer à le remettre en état. Et tu sais où est son câble d'alimentation au moins ?
Quel rabat joie. Bien sûr que non mais il doit bien être quelque part.
- J'ai bien compris que je dois me débrouiller seule. Si tu me cherches, je suis à la cave.
- Attends je vais venir t'aider.
C'est encore en pyjama et accompagnée de Thomas que j'arrive à la cave. L'engin se tient en face de moi et je comprends tout de suite ce que voulait me dire mon coloc'. Une multitude de toiles d'araignées décorent les bras articulés. La roue semble un peu grippée et l'ensemble du cadre a disparu sous une tonne de poussière. Tom me regarde avec un air triomphant :
- Je t'avais prévenue.
- Ce que tu peux être agaçant. Ce n'est pas un peu de poussière qui va venir contrecarrer mes plans. Aide moi plutôt à le remonter dans la maison.
Mon colocataire s'exécute et nous voilà partis en expédition. C'est entre deux éternuements et avec les yeux qui pleurent que nous arrivons dans le salon avec le monstre. Je ne vois pas bien où je peux le mettre, sa place sera donc celle-ci.
Armée d'un chiffon et de produit, je me lance dans une remise en état de mon outil. Je peux aussi compter sur l'aimable participation de Thomas qui s'occupe de dégripper la roue qui peut enfin tourner sans couiner. Au bout d'une heure, mon vélo est comme neuf si on n'est pas très regardant. Il me faut plus d'une demi-heure pour retrouver le câble caché dans un tiroir. Plus qu'à me mettre en tenue. C'est assez simple puisqu'il n'y a pas si longtemps que j'ai été courir. Horreur ! Mes chaussures de sport sont pleines de terre, c'est donc à leur tour de passer au nettoyage. C'est fatigant de ce remettre au sport ! Au bout d'une quarantaine de minutes, je suis enfin prête à monter sur mon fidèle destrier.
Me voilà en selle, ou plutôt debout sur les deux plateformes prévues à cet effet et je décide de lancer un programme en escalier ni trop simple ni trop compliqué. Petit à petit, la difficulté s'intensifiera. Les écouteurs sur mes oreilles, Oui de Zazie en live en 2007 me donne le rythme. Je me sens bien et je vais de plus en plus vite. Trop simple le vélo. Pourquoi je n'en faisais plus ? Je passe le premier palier et je sens une plus grande résistance dans mon pédalage. Supermassive Black Hole de Muse m'accompagne dans cette difficulté. Quand retentit Every You Every Me de Placebo, un troisième palier s'enclenche et je me rappelle pourquoi je ne faisais plus de cet engin de torture. Ça fait mal ! Et ce n'est pas Christophe Maé qui chante !
En sueur et dans la douleur, je décide de m'accrocher. J'ai opté pour un programme de trente minutes, ce n'est pas pour abandonner à la première difficulté. Les minutes passent et j'exécute la phase de récupération du programme sur Roadgame de Kavinski en maudissant Tom et ses idées géniales. C'est bien à cause de lui que j'en suis là, non ?
Le bip de fin de séance retentit et je descends. Mes jambes sont fébriles et me portent à peine. Pourtant une agréable sensation m'envahit. J'appréhende la journée de demain. Ayant un honneur et annoncé mes bonnes résolutions à Thomas il faudra bien que je fasse ma nouvelle demi-heure. Mais dans quel état ?
Jour 3
Mercredi 18 mars 2020
Réveil plus tôt ce matin. Hors de question de se laisser aller. 9h00 j'ai ouvert les yeux. C'est encore un peu tard, je l'avoue mais je m'adapte doucement au style de vie en confinement. J'ai eu du mal à me coucher tôt hier soir. L'idée de ne pas devoir se lever à l'aube pour aller au travail peut vite faire basculer dans un mode de nourrisson confondant le jour et la nuit.
Je cède à ma mauvaise habitude et prends mon portable pour parcourir le fil d'actualité des réseaux. Mes yeux ont encore du mal à s'ajuster à la luminosité ce qui fait que je vois flou un certain moment ou bien est-ce dû à l'âge ? Mon pouce fait défiler les messages et les images. Du bon, du moins génial. Je lis des horreurs sur la situation sanitaire, des témoignages qui glacent le sang, des chiffres qui font peur, des gens qui s'inquiètent... tout vous donner l'impression d'être malade et d'avoir le moral dans les chaussettes. C'est décidé, à partir d'aujourd'hui je ne consulte que les bonnes nouvelles. Encore faut-il les trouver. La meilleure chose à faire serait de ne plus céder à l'appel des notifications, mais adaptons-nous d'abord au confinement avant d'envisager une période de sevrage.
Je sors de mon lit - dans lequel j'ai dormi, eh oui -, file
dans la cuisine prendre mon café et grignoter une petite barre de céréale. Sur
la table, un mot de Thomas écrit en pattes de mouche qui m'indique qu'il est
dans le jardin d'hiver pour s'occuper des plantes. J'avale le breuvage et ni
une, ni deux me précipite dans la salle de bain pour enfiler ma tenue de sport.
En moins de temps qu'il ne faut pour le dire je suis sur mon vélo. C'est
beaucoup plus rapide que la veille étant donné qu'il n'y a pas tout ce ménage à
faire. J'ai quelques courbatures aux abdos, séquelles de la séance d'hier. Je
me félicite de ne pas souffrir d'avantage. Cela faisait un bon moment que je
n'avais pas fait d'exercice physique et je m'attendais à pire. Bref, je lance
un programme. Pas d'escalier aujourd'hui mais j'opte pour un rythme régulier
sur trente minutes. J'ai le choix entre une intensité de une à six. Va pour la
deux. C'est le début quand même. Go. Toujours le casque sur les oreilles, c'est
Billie Eilish qui m'accompagne avec Bad
Guy. Par chance, c'est entraînant parce que même au niveau deux, je sens
que cela va être difficile de tenir la distance. J'ai à peine pédalé trente
secondes, que la musique se coupe. Un appel. Horreur. Je vois le nom de Jeanne
s'afficher sur l'écran. Ma mère. Sans scrupule, je ne décroche pas. Je ne veux
pas casser ma dynamique. Je n'ai pas non plus très envie de converser pendant
trois heures avec elle. Pour ceux qui la connaissent vous devez vous rappeler
le personnage. Pour les autres, sachez que ma mère est plutôt excentrique,
égocentrique, égoïste, nombriliste, autoritaire... je pourrais continuer des
heures et allonger la liste mais je préfère me concentrer sur mon pédalage. Les
minutes et les musiques s'enchaînent et je m'accroche aux bras articulés pour
aller jusqu'au bout en pensant à l'incroyable et agréable sensation que va me
procurer cette montée d'endorphine quand la session sera terminée. Je vais
avoir un corps de déesse sur la plage cet été et je pourrais enfin frimer.
Combien de fois en ai-je rêvée ? Je ne suis interrompue qu'une douzaine de
fois par les appels de ma mère. Quand je vous dis qu'elle est usante.
Le bip retentit. Fin de séance. 147 kcal, 5.7 KM/H et 2.7 KM parcourus (preuve à l'appui).

Encore une fois je descends
de mon vélo les jambes tremblotantes et le souffle court. Je vois sur l'écran
une série de message de ma mère. Elle maîtrise aussi les texto. A soixante ans,
elle est en phase avec son temps. Usagère de tous les outils de communication,
elle a même, c'est sûr, beaucoup de chose à m'apprendre moi qui vient juste de
faire mes débuts sur Amstramgram.
e me rends à la cuisine pour boire un gigantesque verre d'eau et je tombe sur Thomas en salopette de jardinage en train de consulter son téléphone.
- Ta mère m'a appelé sept fois. J'ai bien fait d'aller jardiner sans mon portable.
- Désolée. Elle s'impatiente parce que je ne la rappelle pas, répondé-je entre deux essoufflements.
- Tu comptes le faire ?
- Rien ne presse. On est au moins sûr d'un truc, c'est qu'elle ne pourra pas débarquer sans prévenir. Au moins un avantage du confinement.
Thomas me regarde avec un air exaspéré.
- On n'avait pas dit que cette période était l'occasion de changer nos habitudes et de renforcer les liens avec nos proches ?
Je souffle comme une sale gosse et lève les yeux au ciel.
- Oui, je vais répondre à ses messages. Je me douche et je m'exécute, mon capitaine.
Je grimpe quatre à quatre les marches, pour me rendre dans la salle de bain et ne perds pas un instant pour regagner la douche. Je peux vous dire que je prends tout mon temps. Je perçois les sonneries de mon téléphone malgré l'eau qui coule. Même l'appareil a l'air de souffrir. Pas la peine de vous préciser qui c'est.
Une fois prête, je prends mon courage à deux mains. A peine, une tonalité et la voix de Jeanne se fait entendre.
- Quand même ? On peut savoir ce que tu fiches depuis ce matin ? Je m'ennuie moi et j'ai besoin qu'on me divertisse !
Vous l'avez le côté égocentrique là ? Je crois qu'on le tient bien.
- Désolée, je faisais du vélo ell...
- Du quoi ? Allons sois sérieuse ma petite chérie. Trouve autre chose comme excuse. Tout ce que tu veux mais pas le sport. Comment penses-tu me faire avaler un truc pareil ?
Ça va être long. A côté d'elle, le confinement est une bénédiction.
Elle continue à palabrer ne me laissant aucune occasion de me défendre.
- C'est une horreur, ce qui nous arrive. Privés de sortie. J'ai l'impression d'être une gamine qui n'a pas été sage. Par chance, on peut quand même sortir faire quelques courses. Enfin cela ne reste qu'alimentaire. Pas un magasin de vêtements ouverts ! C'est d'une tristesse. J'ai imprimé une pile de laissez-passer et je compte bien m'en servir tous les jours.
- Maman, le principe est de rester chez soi le plus possible. Pour te protéger et protéger les autres. Mais ça c'est un concept qui t'échappe.
- Tu n'as qu'à dire que je suis une personne vulnérable aussi. Que veux-tu que je craigne ? Bon bref, il va falloir qu'on s'organise. J'ai bien compris qu'il n'était plus question de rencontrer des gens alors on va se mettre d'accord toutes les deux pour communiquer tous les jours.
La crise d'angoisse me guette.
- Tous les jours ?
- Oui, et j'insiste bien sur le « tous ». Par téléphone c'est insupportable. Je veux une visioconférence. Cela permettra en plus à mes petits enfants de me voir. Ils arrivent toujours bien vendredi ?
- C'est ça. Jérémy a imprimé une attestation et va me les déposer dans l'après-midi.
- Parfait. Je fixe les rendez-vous à 16h. Pendant le goûter. Je t'enverrai une idée de recette de gâteau chaque matin. Nous ferons toutes les deux le même comme ça nous aurons l'impression de partager un moment ensemble. Je trouve cette idée formidable.
Sans blague, puisque c'est la tienne.
Il faut que je trouve une parade mais l'inspiration me manque.
- Ecoute, je ne sais pas encore comment je vais m'organiser avec les enfants. Il y a leurs devoirs à faire et je suis loin d'être professeure des écoles. Il va falloir qu'on trouve un rythme et je ne suis pas...
- Tu peux déjà inscrire une activité cuisine le matin et une dégustation à 16h. C'est très bien ça : y a des maths, de la lecture, du travail manuel...Et nous allons commencer dès aujourd'hui pour que tu t'entraînes. Aujourd'hui, c'est crêpes ! Je vous dis à cet après-midi à Tom et toi !
Elle raccroche et je n'ai même pas le temps de dire ouf. Quel tourbillon !
Je me rends dans le salon. Thomas la télécommande dans la main, s'octroie un petit moment télévision assis dans le canapé, les pieds sur la petite table. Oublié la tenue de jardin, il porte une jolie chemise cintrée bleue nuit et un jean délavé. Il refuse de se laisser aller ce qui fait plutôt plaisir à mes yeux. Je m'effondre à côté de lui.
- Tu as eu ta mère ?
- Oui. Je dois faire des crêpes.
Thomas se redresse et m'interroge du regard. Je lui explique l'idée formidable de Jeanne. Il explose de rire.
- Parce que tu trouves ça drôle ?
-
Je dirai plutôt malin. C'est une idée géniale en fait pour entretenir le lien.
-
TOUS les jours ! Faire des gâteaux et les déguster à 16h en compagnie de
ma mère ? Mais ce confinement va me tuer. Je ne te parle pas non plus du
stock de lait, de farine et d'œufs qu'il va falloir faire. C'est à
cause de ma mère que le pays va connaître la pénurie.
- Allez, pour aujourd'hui c'est moi qui fais les crêpes.
J'ai envie de pleurer. Même mon coloc' est tombé sur la tête. Je vais aussi devoir allonger les séances de vélo si je veux vraiment pouvoir crâner sur la plage au mois d'août avec toutes ses pâtisseries.
Jour 4
Jeudi 19 mars 2020
Levée de bonne heure aujourd'hui, j'ai déserté les réseaux sociaux pour éviter les mauvaises ondes. Déjà que les infos d'hier soir ont presque failli me plomber le moral, il est préférable que j'évite tout contact virtuel avec monsieur Covid.
J'ai vite enfilé mes baskets et me voici sur Wali. Oui, j'ai donné un petit nom à mon vélo, en tant que compagnon de cellule cela me semblait utile. Aujourd'hui, c'est une session faite de paliers irréguliers qui m'attend. Niveau un, puis trois, deux, quatre et un pour finir en douceur. Britney Spears m'accompagne. J'ai décidé de réviser mes classiques. Thomas a décidé lui aussi de s'entretenir et me rejoint au salon avec son tapis de sport pour une séance de renforcement musculaire. Quand I'm slave 4 you démarre et que mon coloc' commence sa séance de pompes en short et en débardeur laissant apparaître tous ses muscles contractés, j'en oublie presque de pédaler. Pas sûre que faire nos séances de sport ensemble soit très productif. Je me reconcentre et gagne encore mon défi quotidien. J'ai même fait en sorte d'ajouter cinq minutes de plus pour éliminer les crêpes d'hier même si je ne suis pas convaincue que cela suffise.
Le goûter de la veille était délicieux mais m'a semblé durer une éternité. Entendre ma mère se lamenter sur l'impossibilité de voyager dans les jours qui viennent était interminable. Et impossible de s'occuper pendant ses sempiternelles tirades. Tenant à tout prix à nous voir, nous nous sommes résignés à nous connecter grâce à un appel vidéo. Imaginez la scène, Tom et moi en train de manger des crêpes avec maman sur la table en train de faire de même chez elle ! Cela peut sembler drôle mais vous, vous n'avez pas le son. Il va vraiment falloir que je trouve une solution pour échapper à ces rendez-vous quotidien car je ne pense pas réussir à y survivre.
Comme prévu, j'ai reçu la recette du jour : chouquettes. Quelqu'un sait faire ce truc ? Moi à part les manger... Help marmiton et me voilà dans la cuisine entre farine, œufs et casseroles. Un vrai carnage. La pâte à chou ne semble pas du tout avoir la bonne tête. Cela me paraît étrange qu'elle soit aussi liquide. Je suis en train de maudire les idées débiles de Jeanne quand Thomas tout frais sorti de sa douche intervient. Il porte un pull gris près du corps et son jean noir préféré. Sans un mot, il me prend la spatule en bois de la main au moment où elle risque de voler à travers la pièce et me pousse avec délicatesse vers la sortie. Mon héro !
- Merci beaucoup.
Pour toute réponse, il me lance un clin d'œil et se commence le sauvetage de la pâte à chou.
Ayant besoin de me rendre utile, je décide de me lancer dans un grand ménage de la maison. Les enfants arrivant demain, il me paraît important d'être prête à les recevoir. Armée de mon aspirateur et de mon casque sans fil sur les oreilles, c'est Alain Souchon qui m'accompagne. Ce n'est pas l'activité que je préfère mais ça a le mérite de me vider la tête. J'ai juste à l'esprit le planning que je souhaite organiser pour la semaine à venir avec les enfants. Je dois vous avouer que comme bon nombre de parents, faire école à la maison m'angoisse un peu. J'ai passé un contrat avec moi-même. La situation actuelle est déjà bien assez anxiogène, il n'est pas question de mettre la pression en plus à Lola et Hugo en les transformant en bourreaux de travail.
Au bout d'une heure et demi, je peux dire que la maison brille. Je décide donc de jeter quelques idées d'activités sur le papier. Assez contente de moi, je pars rejoindre Thomas dans le jardin d'hiver où il s'occupe des plantes si chères à sa grand-mère. En me voyant, il lève le nez du bac plein de terre. Je remarque qu'il a remis sa salopette de jardinage. Un vrai défilé de mode aujourd'hui.
- Tu veux bien jeter un œil à ça s'il te plait ? demandé-je en lui tendant le feuille où j'ai gribouillé deux-trois idées.
- Qu'est-ce que c'est ? m'interroge-t-il en posant son outil de jardin à ses pieds.
- Quelques idées pour occuper les enfants.
- Ah bon ? Voyons voir ça.
Avec attention, il lit puis éclate de rire.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle.
- Je ne savais pas qu'on allait ouvrir un camp militaire, c'est tout ! Non, mais tu t'es lue ?
Et il commence à me lire à haute voix ce que j'ai eu le malheur d'écrire.
« 8h : Petit déjeuner, toilette et habillage.
9h : activité sportive.
10h : préparation du goûter
11h : travail scolaire.
12h : préparation du déjeuner puis déjeuner.
13h : jeu de société
14h : travail scolaire
15h : lecture, coloriage, bricolage...
16h : goûter avec Jeanne
17h : fin de journée et temps libre pour tout le monde »
- Je ne vois pas ce que tu reproches à cette organisation ?
- Justement d'en être une. On n'avait pas dit que ce serait l'occasion d'apprendre à lâcher prise ? Je comprends qu'il soit important de garder un rythme mais de là à être aussi carrée. J'attends de voir la tête de Lola quand elle verra le menu.
Je me sens tout à coup ridicule avec mon papier. Moi qui voulait bien faire.
- Tu as peut-être raison. Mais j'ai tellement peur de ne pas réussir à savoir où donner de la tête avec les enfants et de me laisser déborder.
- C'est exactement ce qui va se passer avec ce programme. Tu vas vouloir l'honorer à tout prix et la moindre minute de perdue va te stresser et te mettre en tension avec les enfants. Laisse un peu les choses se faire et tout va se mettre en place de manière naturelle. Profitons de nous retrouver ensemble et faisons au mieux.
Thomas s'approche de moi et me serre fort contre lui. J'adore sentir ses bras autour de mes épaules. C'est rassurant et je sais qu'avec lui tout se passera bien.
- Ok pour le lâcher prise. Du coup, je peux peut-être en profiter pour rappeler Jeanne et lui dire que TOUS les jours à 16h c'est trop militaire ?
- Même pas en rêve. Mes chouquettes sont parfaites et je suis curieux de voir les siennes.
Jour 5
Vendredi 20 mars 2020
Encore une fois, défi sportif remporté puisque j'ai terminé avec succès ma quatrième session avec Wali. Je me surprends de trouver cela de plus en plus facile et d'exécuter l'exercice sans l'appréhender encore dans mon lit.
Mon petit déjeuner avalé, un brin de causette avec Thomas qui semble trouver son rythme lui aussi entre muscu et jardin et je regagne mon bureau pour contacter monsieur Brochard en permanence au collège. Jusqu'à présent, je me suis bien trouvée inutile étant coincée à domicile sans élève. Une CPE sans ado c'est comme un peintre sans peinture, un boulanger sans farine (sans mauvais jeu d'esprit), enfin bref vous avez compris l'idée. Une semaine est presque passée, la continuité pédagogique commence à être plutôt bien engagée et je soumets l'idée de contacter les familles des classes dont j'ai la responsabilité pour prendre des nouvelles de leur santé et de leur scolarité.
Il accepte ce qui me réjouit. Je n'avais jamais imaginé être aussi heureuse à l'idée de me retrouver coincée derrière un bureau pour passer une quarantaine de coups de fil par jour.
Les débuts sont un peu laborieux puisque je me confronte à beaucoup de répondeurs. Normal, je décide d'appeler en numéro caché. Pas sûr que de donner mon numéro de portable à autant de personnes en une période aussi trouble soit l'idée du siècle. A force d'acharnement, les parents finissent par décrocher et c'est avec plaisir que les échanges téléphoniques se succèdent et que je passe même plutôt un bon moment. C'est agréable d'avoir des nouvelles. Tout le monde va bien, les règles de confinement semblent très bien appliquées dans la majeure partie des cas et tous redoublent de créativité pour occuper leurs enfants. Je me demande si cet épisode ne va pas transformer les relations entre l'école et les familles pour les rendre bien plus positives. En temps normal, il y a parfois de la défiance dans certains cas mais cet après-midi toutes les conversations que je tiens sont très agréables et je remarque la satisfaction de beaucoup de m'avoir au téléphone. Elle est réciproque et ça fait tellement de bien.
Occupée à discuter au téléphone, je ne vois pas le temps passer et au bout de trois heures je me rends compte que je vais bien avoir du mal à honorer le goûter de Jeanne. L'idée du jour était gâteau au chocolat. Je vais devoir trouver une excuse pour m'échapper. Une ampoule s'allume au dessus de ma tête comme dans les bandes dessinées. Je vais aller moi-même chercher les enfants chez Jérémy. Je rédige un petit message pour l'avertir que pour finir c'est moi qui vient et un autre à ma mère pour l'avertir du changement de programme. Je n'attends aucune des deux réponses pour chercher la fameuse dérogation de sortie. Pas envie de risquer une amende.
Le sésame obtenu et rempli, l'accord de Jérémy reçu et la décision prise de ne pas répondre aux treize appels de Jeanne, il est presque seize heures quand je me prépare pour aller chercher Hugo et Lola. Je suis pressée de les retrouver. Je monte dans ma twingo couleur framboise qui je suis certaine va être contente de se dégourdir les pneus, dépose mon attestation et ma carte d'identité sur le siège passager pour être sûre de tout avoir à portée de main en cas de contrôle puis démarre. Je me connais : dès que je vois un agent de police mon cœur s'emballe et j'ai l'impression d'être la plus grande criminelle de France, alors là je ne vous raconte pas : grosse pression. Me voilà partie mais j'ai la drôle d'impression de commettre une grave infraction en sortant. Pourtant j'ai une raison plus que valable et autorisée. Du coup, j'ai beaucoup de mal à comprendre tous ceux qui sortent et ne respectent pas les règles du confinement. A leur place, je ferais un arrêt cardiaque. Je ne comprends surtout pas les gens qui refusent de jouer le jeu et qui bravent les interdits pour sortir coûte que coûte. Quel égoïsme et inconscience. Un sentiment de révolte s'empare de moi rien qu'en pensant à toutes ces personnes qui sont elles obligées de travailler pour faire tourner le pays et aux soignants qui se démènent pour faire face à cette crise inédite. Grrr.
Je me calme. Ce n'est pas le moment de finir dans le fossé. J'arrive chez Jérémy sans avoir été contrôlée. Mon cœur s'est emballé quand j'ai aperçu deux gendarmes de l'autre côté de la route et mes nerfs se sont agacés de voir tous ces joggeurs fous sur le trottoir.
La récupération des enfants s'est faite très rapidement. Les affaires étaient prêtes. Bonjour du coude et tout le monde en voiture. Le retour s'est fait en musique et sans rencontre policière.
Nous arrivons à la maison et les enfants surexcités, il faut bien le dire, reprennent vite possession de leur territoire. Chacun s'installe dans sa chambre et vient vite nous envahir au salon.
Quand ils découvrent Wali c'est la déclaration de guerre.
- C'est moi la plus grande alors je commence, s'écrie ma fille.
- Et pourquoi d'abord ! Dans les jeux de société, c'est toujours le plus petit qui commence, alors pousse toi, hurle Hugo en tentant de pousser sa sœur d'un coup de fesse.
- Arrête, j'étais là avant ! Maman, dis quelque chose.
Cela n'aura donc pas mis longtemps.
Comme pour les devoirs, il va donc falloir aussi penser au planning d'utilisation de Wali. Dire qu'ils viennent juste d'arriver ! Je commence juste mon tour de garde. Je tiens donc à dire bravo à tous ceux qui viennent de terminer cette première semaine de confinement avec des enfants tout en étant encore vivants.
Demain c'est samedi. C'est donc week-end. Il est important de garder l'alternance entre travail et repos. Je vous propose donc de nous retrouver lundi pour vous raconter la suite de mon confinement et la vie qui s'annonce assez mouvementée avec Lola et Hugo. Bon week-end et à lundi.
Jour 6
Lundi 23 mars 2020
8h00. Cela faisait un petit moment que je ne m'étais pas levée si tôt. C'est une résolution que j'ai prise pendant le week-end. Je ne veux pas me laisser déborder en ce premier jour d'école à la maison. A partir d'aujourd'hui, j'ai en charge le niveau CP et CM1.
Ce week-end, Thomas et moi avons repensé l'espace de la maison et surtout du salon. Grâce à une idée de ma collègue de Français Emma - que je remercie - , nous avons installé une « grande table d'activités » pour les enfants. L'idée est qu'ils puissent avoir un espace pour leur travail scolaire et leurs bricolages en tous genres. Cela devrait permettre d'éviter qu'ils ne s'étalent partout et que la maison ne se transforme en un champ de bataille au bout d'une heure. Concept validé puisque la table à peine mise en place a vite été colonisée par Hugo muni de son scotch et de son tube de colle. Non loin trône Wali, prêt à l'emploi et le tapis de sport de Thomas. Nous sommes parés.
Il a aussi fallu compléter le plein de courses que j'ai fait en début de semaine. Pendant que les enfants et Thomas s'affrontaient sur une partie haletante de Mario Kart, j'en ai profité pour aller récupérer un drive que j'avais programmé deux jours avant, affluence oblige. Édition d'un nouveau laissez passer et j'étais dans ma Twingo pour accomplir ma mission. Une seule hâte : rentrer car quitter la maison dans ces conditions me donnait encore une fois l'impression d'être en mission commando et d'alimenter une économie souterraine en me rendant au marché noir.
Le drive récupéré en ayant respecté de manière scrupuleuse les gestes barrières - mains et chariot désinfectés, carte de fidélité tendue le plus loin possible pour ne pas être en contact avec la pauvre petite étudiante qui n'a pas d'autre choix que de travailler - je suis repartie et n'ai pas échappé, cette fois-ci au contrôle routier. Un grand gendarme géant de trois mètres au moins m'a fait signe de m'arrêter ce qui a provoqué chez moi les premiers signes de tachycardie. Ma voiture garée sur le côté, j'ai baissé ma fenêtre et l'immense personnage m'a demandé de manière très agréable et avec un joli sourire :
- Bonjour madame. D'où venez vous ?
Avant de lui répondre, j'ai brandi ma dérogation et ai fini par bredouiller :
- Je viens de récupérer mes courses et je rendre directement chez moi, promis.
Il a souri ayant bien compris à quel point j'avais l'air traumatisé et a contrôlé mon adresse.
- Très bien madame. Vous pouvez y aller ?
Quoi c'est tout ? Pas d'interrogatoire ? Pas de contrôle d'identité ?
Il m'a fait signe de partir. Un peu sonnée, j'ai remonté ma vitre, retrouvé une respiration plus régulière et ai repris ma route pour rentrer.
Mon cœur a cessé de tambouriner quand je suis arrivée à la maison. Tom et les enfants étaient toujours en train de se hurler les uns après les autres sur leurs Karts. J'ai profité de cette liberté pour ranger les courses et de me laver les mains de manière très méticuleuse.
Un planning, moins rigoureux que celui que j'avais prévu a été élaboré avec les enfants, c'est pour cela que me voici de bonne heure debout. Même si je n'ai pas demandé à Hugo et Lola de se lever à l'aube, je préfère anticiper pour avoir le temps de faire tout ce que j'ai prévu avec la plus grande sérénité possible. Mon premier objectif est de rejoindre mon copain Wali. C'est donc en tenue de sport que je descends l'escalier en bois et rejoins le salon pour relever mon défi du jour. Quelle n'est pas ma surprise quand je vois que Hugo est déjà debout. La télé allumée sur une chaîne de dessins animés, il est assis à la petite table du salon et écrit avec la plus grande application. Je suis déjà contrariée car il me semble bien avoir précisé que comme lors des semaines d'école, il n'y aurait pas d'écran le matin. Pratique réservée aux vacances et aux week-ends.
- Bonjour mon chéri, je peux savoir ce que tu fais ?
- Coucou maman. Je télé-travaille et toi ?
- Pardon ?
- Ils ont dit aux informations hier soir qu'il fallait que les gens fassent le plus de télétravail possible. Donc je fais comme ils disent !
- Mon chéri, ça ne veut pas dire regarder la télé en faisant ses devoirs ! Si tu te rappelles bien, j'avais dis pas d'écran le matin.
Quel malin cet enfant.
- Je peux quand même finir mon épisode ? me demande-t-il avec ses yeux de cocker.
Bon après tout, il n'est que huit heures.
- Ok. Le temps que je fasse ma session de vélo, tu regardes ton émission. Ensuite, on petit déjeune, on se prépare et on se met au travail, OK ?
- Ouais !!!!
- Mais c'est juste aujourd'hui, hein ? Le temps qu'on s'organise. Demain, pas de télé.
Hugo s'est déjà replongé dans son programme et ne m'entends déjà plus.
C'est pas gagné, l'école à la maison.
Une heure plus tard, Lola fait son entrée dans la cuisine. Les cheveux emmêlés et le sourire à l'envers.
Hugo et moi sommes en train de prendre notre petit déjeuner. Un bol de céréales pour lui et un café pour moi encore en sueur de ma séance avec Wali.
- Bonjour mon chaton, la salué-je en posant ma tasse sur la table.
- 'jour, grommelle-t-elle.
Hugo regarde sa sœur avec attention et un petit sourire moqueur s'affiche sur son visage.
- J'en connais une qui s'est levée du pied droit, chantonne-t-il.
- Oh la ferme, demie portion. En plus, on dit le pied gauche.
-Lola ! Qu'est-ce que c'est que cette manière de parler à ton frère ? Et toi, Hugo ne commence pas à chercher ta sœur de bon matin.
- D'accord, répond mon garçon de façon malicieuse.
Ma fille s'installe et prend elle aussi un bol de céréales. Je tente d'entamer la discussion.
- Bien dormi ?
- Mouais.
- Prête pour notre premier jour d'école à domicile?
Pas de réponse. Je continue et je vais sans doute trop loin.
- Après le petit dej, tu te douches et on se met au travail.
Les yeux verts de ma fille me lancent des éclairs.
- C'est bon, je sais ce que j'ai à faire. Je peux déjeuner en paix ?
A ce moment, Tom en débardeur et short noir, sa serviette sur l'épaule, fait son entrée en sifflotant du Stéphan Eicher. Il me regarde et explose de rire.
Il est 9h... La journée va être longue.
Jour 7
Mardi 24 mars 2020
Encore une fois, Wali a avalé les kilomètres ce matin (deux et demi mais il y avait beaucoup de côtes). Je ne sais pas si je prends mes désirs pour des réalités mais je crois commencer à percevoir ce qui ressemble presque à un début d'abdominaux. Ensuite, j'ai endossé mon nouveau costume de professeur des écoles et nous nous sommes mis au travail. Comme bon nombre des parents que j'ai eu au téléphone hier après midi et que j'aurai encore aujourd'hui, je crie mon admiration pour le corps professoral à qui je vouais déjà un culte certain. Pour le coup, je les vénère. Quand je pense que je n'ai que deux enfants ! Mesdames, messieurs, collègues de l'Éducation Nationale, chapeau bas !
- Puisque je te dis que c'est comme ça qu'elle fait la maîtresse ! me hurle Lola parce que je m'étonne de sa technique pour poser une division. Toi c'est une méthode de vieux !
Merci ma chérie, un petit compliment qui fait chaud au cœur au passage.
- Hugo, tu fais tes « f »à l'envers et tes « r » ne sont pas beaux du tout.
- Ben moi, je les fais comme ça et on comprend très bien, réplique mon fiston qui a toujours réponse à tout.
- Oui mais si tout le monde fait ses lettres comme il l'entend ça ne sert à rien d'avoir créé un alphabet et plus personne ne va se comprendre. Allez, recommence.
- TOUT ! Mais c'est beaucoup trop long, commence-t-il à bouder.
- Je suis vraiment pas sûre pour ta méthode ma chérie. Le résultat n'est pas bon.
Accoudée à la table d'activité déjà bien surchargée en ce début de matinée, ma fille lève les yeux au ciel.
-Maman, hurle mon garçon, je saigne du nez et y en a partout sur mon cahier !
Grrrrrrrrr !
J'attrape la boite de mouchoir pour lui venir en aide, applique un à un les conseils appris lors de mon brevet de secourisme, demande à Hugo de se calmer et de patienter la tête vers le bas pour que l'écoulement se stoppe.
Pile à ce moment, Noémie se décide à téléphoner. Je décroche et entends le ton beaucoup trop enjoué de ma meilleure amie :
- Coucou ma chérie ! Ça va ? Je ne dérange pas ?
- À vrai dire, tu tom...
- Ah super ! Bon tout va bien chez vous ? Personne n'est malade ?
- Non tout va bien d'un point de vue santé mais du côté scol....
- Je n'en peux plus Léa ! se lamente tout à coup Noémie. J'ai fait une énorme erreur.
Je trouvais aussi que son ton du début de conversation n'était pas naturel.
- Que se passe-t-il ?
- Maman, je peux relever la tête ? m'interrompt Hugo.
Je fais signe que non en secouant l'index.
- Mais c'est long !
Doigt sur la bouche pour lui demander de se taire et me permettre de me concentrer sur ce que me raconte mon interlocutrice.
- Giogio et moi avons décidé de vivre chez moi pendant le confinement et ça y est je n'en peux plus.
- Vous vous connaissez à peine ! Ce n'était pas un peu trop tôt ?
- Nous avions peur de ne pas réussir à se passer l'un de l'autre. En toute honnêteté : c'est un coup à divorcer avant d'être mariés !
Ce type est fou d'avoir accepté la proposition surtout. On voit qu'il ne connaît pas bien Noémie encore.
- Il a tout réorganisé dans mon appartement soi-disant parce c'était le bazar. Je ne retrouve plus rien. Il est hyper maniaque. Dès qu'un truc n'est pas bien parallèle avec le bord de la petite table, il s'empresse de le redresser et de me faire la remarque qu'il faut faire attention à la place des choses. Parce que c'est comme dans la vie. Chaque personne à sa place et c'est pareil pour les objets. Il répète toute la journée qu'il faut respecter l'ordre naturel de l'univers. Ce type est marteau Léa ! Je vis avec un psychopathe. Par chance, il est incroyablement sexy ça compense et il me fait d'agréables petits plats. A l'heure où je te parle, il est partie faire deux trois courses pour le repas de ce midi. Il me couvre de compliments. Il me dit que je suis sa princesse et qu'il est fou de moi. En fait il... est formidable ce type. Et moi qui viens me plaindre à toi. Je crois que c'est le confinement qui me monte à la tête. Je te laisse, je vais aller me faire une petite beauté pour mon Giogio. Ciao.
Elle raccroche. Quelle tornade ! Vous remarquez sûrement que mon amie, telle une girouette, passe vite du coq à l'âne. Mais vous allez voir. Ce n'est pas encore fini.
- Maman c'est bon ?
- Pardon chaton. Je t'avais oublié.
Hugo enlève son mouchoir et je vérifie son nez. Plus de sang, on a gagné.
Dring. Mon portable se manifeste à nouveau.
Qu'est-ce que je vous disais ? Je réponds.
Sans préambule, Noémie reprend la conversation comme si elle n'avait jamais raccroché.
- Et toi ? Tout va bien ?
- Ça va, j'ai d'autres problèmes. Entre l'école à la maison et les exigences de ma mère par téléphone, je ne chôme pas.
- Qu'est-ce que Jeanne a encore inventé ? Ricane-t-elle.
Je lui raconte cette histoire de goûter quotidien.
- Aujourd'hui c'est gâteau au yaourt aux pépites de chocolat.
- Elle est géniale. C'est une super idée. Je vais dire à Giorgio d'en faire un et on vous rejoint cet après-midi. J'adore. Tu te plains toujours pour rien. Tu devrais être un peu plus positive de temps en temps. Allez à seize heures.
Cette fois-ci elle raccroche de manière définitive.
Hugo se balance sur sa chaise et semble ne plus avoir envie de travailler.
- Ça te dis de faire un gâteau ?
Pour toute réponse, il saute de sa chaise et se rue vers la cuisine. Je songe déjà à la session de ménage. Une heure de nettoyage pour une recette qui va nous occuper dix minutes !
Jour 8
Mercredi 25 mars 2020
J'ouvre un œil et à peine la lumière pénètre ma rétine que mon cerveau se met déjà en surchauffe. Toutes les choses que j'ai à faire dans la journée se mettent à tournoyer dans mon crâne. Depuis le début du confinement, nous n'avons pas abordé la notion de charge mentale. Je n'aurais jamais imaginé qu'elle puisse être plus lourde en mode confinement qu'en période d'activité. Moi, qui au début pensait que tout cette période à la maison me permettrait d'avoir du temps pour faire ce que je ne peux pas faire d'habitude... et bien erreur. J'étais à côté de la plaque. Avant que je ne tourne folle, je saute de mon lit et rejoint Wali. Les enfants dorment encore. Les psychologues insistent sur le fait qu'il est important de garder le même rythme que d'habitude mais moi je réponds à ces professionnels : « OK ! Mais venez garder les mômes alors ! ». Je ne vois pas l'utilité de rallonger les journées en les levant à l'aube.
Bref, je saute sur Wali. Je n'aurais jamais imaginé dire cela un jour mais ma demi-heure d'exercice physique quotidienne est devenue vitale. Elle me permet de vider mon esprit et de le remplir d'une manière plus organisée. Quand la session est terminée, en général mon moral remonte et j'ai envie de faire une tonne d'activités.
Deux kilomètres et demi plus tard et un nombre incalculable de côtes parcourues, je me dirige vers la cuisine pour prendre mon café qui va m'aider à fixer toute ma bonne humeur retrouvée.
C'est sur un Thomas bien morose que je tombe. Habillé d'un sweat vert tout moche, super usé et d'un pantalon de jogging, le beau gosse est méconnaissable. Pas rasé depuis trois ou quatre jours, il a mauvaise mine et le voir ainsi active ma jauge d'inquiétude qui a tendance à monter au niveau max bien trop vite en cette période d'enfermement.
- Je ne te demande pas si tu vas bien ?
Pour toute réponse, un grognement résonne dans le mug que Tom porte à sa bouche.
Ok ! C'est pire que ce que je pensais. En attendant, ce n'est pas surprenant. Je vous rappelle qu'il n'y a pas plus sociable que mon colocataire. Je vous parle du roi de la nuit, de la fête et des belles rencontres (féminines j'entends) donc pas étonnant qu'au bout d'une semaine, les premiers signes de déprime apparaissent.
Je me dois donc d'être là pour lui comme il l'est pour moi quand cela ne va pas. Je ne vais pas pour autant faire don de mon corps, ce serait déplacé et mettrait un peu le bazar dans un duo qui fonctionne trop bien mais je vais mettre mon imagination à son service.
Pour le moment, je fais le tour de la table afin de m'approcher de lui, l'enlacer et lui poser un gros baiser sur la joue. Cela doit lui faire du bien, puisqu'il pose sa main sur mon épaule qu'il serre très fort pour répondre à mon étreinte.
Mon coloc sort un peu de sa grotte et m'interroge sur le goûter du jour.
- Je ne sais pas, répondé-je, je n'ai pas encore reçu les consignes pour aujourd'hui. Mais je t'avoues que je commence à fatiguer de ces sucreries quotidiennes.
- C'était cool hier avec Noémie, remarque-t-il.
Oui c'est vrai que le fait qu'elle se soit associée au visio-goûter change un peu la donne. Ma mère et ma meilleure amie sont entrées dans une conversation dont elles ont le secret, ce qui nous a permis de souffler un peu. Nous n'avons pas pu nous échapper pour autant, notre absence aurait été trop remarquable à l'écran mais ne pas devoir alimenter seuls la conversation avec Jeanne nous a un peu reposés.
- Si je n'avais pas peur de me tirer une balle dans le pied, je lui demanderais de réaliser une pièce montée, m'exclamé-je.
Œil malicieux de mon coloc.
- Chiche ! répond-il. Vu la routine dans laquelle je suis en train de sombrer, je suis prêt à relever le défi rien que pour embêter Noémie et ta mère. En plus, j'ai deux petits commis qui ne demandent qu'une chose à savoir être occupés. Vas-y envoie lui le message.
- Tu es sûre ? me fait répondre de façon enjouée le côté diablotin de ma personnalité.
En guise de réponse, il me tend mon portable.
Je compose le message. La réponse de l'une et de l'autre de nos partenaires de goûter ne se fait pas attendre.
Noémie < Tu es une grande malade, Léa Guterbour mais je relève le défi!>
Jeanne < J'ai compris votre petit manège. Tu crois peut-être que ça me fait peur ? Je vous dis à 16h tapante mes chéris>
- Tu vas avoir du boulot, mon Tom.
Mon coloc, déjà debout, se dirige vers le frigo pour préparer les ingrédients.
Cette idée géniale va avoir le mérite de l'occuper pendant que j'organise une petite surprise qui vient de germer dans ma tête. Si Thomas ne peut pas aller au bar, c'est le bar qui viendra à lui.
Les enfants se sont vite levés après notre idée goûter et se sont enthousiasmés quand nous leur avons expliqué le « défi pièce montée ». Tout le monde s'est mis au travail après avoir décidé que l'école à la maison attendrait un peu. Une pause s'impose. Si je ne veux pas devenir folle entre les fractions et les fiches de lecture de l'un et de l'autre, il est temps de freiner le rythme.
Pendant que la brigade pâtissière œuvre à la construction du croquembouche, je me réfugie dans le salon pour passer quelques coups de fil et mettre au point mon plan « redonne le moral à ton coloc ». Je salue notre idée d'avoir fait un bon plein de courses puisque je ne vais pas avoir à sortir de la maison pour réaliser mon idée pour ce soir.
L'heure du goûter arrive très vite. Thomas et les enfants sont fiers de présenter leur magnifique construction d'une trentaine de centimètre de haut, faite d'une multitudes de choux soudés les uns aux autres avec du caramel. Du côté de Jeanne, il faut plutôt parler d'une couronne. Quant à Noémie et Giorgio, la présentation de deux gros choux montés l'un sur l'autre leur apporte une huée générale.
Je suis contente car ce goûter n'aura pas été seulement délicieux mais aussi très agréable. Les rires provoqués par le défi raté auront redonné le sourire à mon coloc rasé de près et paré de ses plus beaux vêtements.
19h. Nous arrivons à l'heure de ma surprise. Pendant la partie quotidienne de Mario Kart de Tom et des enfants, j'en profite pour m'affairer et fignoler les derniers détails. Une fois tout terminé, j'appelle fort de manière à ce que mon coloc m'entende de sa chambre :
- Tom ! Tu peux venir voir, s'il te plaît ?
J'entends ses pas dans l'escalier. Quand il entre dans le salon : Marco, le patron de son bar préféré, nos collègues, Jérôme, Marie, Emma, ma mère, Noémie et Giorgio se tiennent à l'écran de télé en visioconférence, un verre à pied à la main. Tous en cœur lui crient : Tchin ! A nous tous !
Je tends un verre à Tom qui, touché par ce visio-apéro, a les larmes aux yeux. Je suis plutôt satisfaite de mon petit effet et contente de le voir sourire comme un môme de huit ans.
Jour 9
Jeudi 26 mars 2020
Les jours passent donc et les rituels s'installent rendant les jours de confinement plus supportables. Wali m'aide tous les matins à sculpter mon corps de rêve pour frimer cet été sur la plage, corps de rêve mis en péril quelques heures plus tard par la préparation du visio-goûter de l'après-midi avec Jeanne. Les recettes s'enchaînent et mes chances de voir mes petits bourrelets disparaissent avec elles mais ce n'est pas grave car je suis bien obligée d'avouer qu'il y a quelque chose d'agréable à retrouver Jeanne tous les jours. C'est peut-être aussi parce Noémie et Giorgio sont venus en renfort pour nous aider à la supporter.
L'école à la maison se poursuit non sans heurt mais comme pour tout, nous avons trouvé une petite routine avec les enfants. Petit à petit ils acceptent d'écouter mes conseils et moi j'apprends à faire preuve de la patience nécessaire pour les aider à comprendre ce qui leur pose problème. Heureusement qu'ils ne sont qu'en CP et CM2, je peux encore suivre. J'ai aussi trouvé mon rythme de télétravail et continue à rester en contact avec les parents. Entre mails et coups de téléphone, il faut tout de même que je fasse le gendarme entre mes deux monstres ou que je rappelle à Hugo que l'utilisation du lance pierres dans sa chambre n'est pas une bonne idée, mais en règle général ils sont plutôt cool.
Je peux compter sur l'aide précieuse de Thomas qui semble avoir retrouvé le moral, tout heureux de pouvoir compter sur ses deux compagnons de jeux pour ses parties quotidiennes de Mario Kart. Ils sont plus doués que moi. J'ai même tendance à être dangereuse confondant bien souvent ma manette avec un vrai volant. Il tourne dans tous les sens avec grande amplitude et le kart ne va jamais où je veux qu'il aille.
Bientôt deux semaines de confinement. J'espère que vous trouvez votre rythme. Je sais que toutes ces journées ne sont pas évidentes à vivre, que le moral n'est peut-être pas toujours au beau fixe mais rappelez-vous toujours du pourquoi nous faisons cela : nous contribuons à sauver des vies. Tout a une fin, et cette période aura elle aussi une issue. Comme il sera bon de sortir de façon libre, sans dérogation, sans devoir rendre de compte ou de se sentir coupable du moindre déplacement. Ce sera génial de retrouver sa famille, ses collègues, ses amis et même les gens qu'on n'aime pas. L'idée que les enfants retrouvent l'école est formidable aussi et je pense même que l'école sera heureuse de retrouver vos enfants. J'imagine ces bienfaits que j'associe à la sensation que provoque la fin d'une session de vélo elliptique. Ça fait tellement de bien quand c'est fini !
En attendant tous ces jours joyeux, je vous souhaite bon courage pour ces prochains jours chez vous ou au travail pour ceux qui travaillent. Je remercie encore tous les soignants qui œuvrent tous les jours à sauver des vies et à toutes ces personnes qui contribuent à répondre à tous nos besoins au quotidien. Bon courage à tous et à très bientôt.
En attendant, si vous le pouvez : restez bien chez vous !